Entretien avec Hicham El Habti, Président de l’Université Mohammed VI Polytechnique de Benguérir
Benguérir, en voie de devenir la cité du futur en Afrique, accueille des milliers d’étudiants bénéficiant d’infrastructures de pointe et d’enseignements issus des universités les plus prestigieuses du monde. Hicham El Habti, Président de l’Université Mohammed VI Polytechnique (UM6P), partage sa vision dans cette interview.
La Tribune Afrique : L’UM6P a été inaugurée en janvier 2017 à Benguérir. Comment évolue le campus UM6P et quelle est son importance dans la nouvelle ville verte Mohammed VI ?
Hicham El Habti : Benguérir, grâce à l’UM6P, est devenue le pôle de l’innovation au Maroc. Située au cœur de la nouvelle ville verte Mohammed VI, qui s’étendra sur 1 000 hectares et accueillera 50 000 habitants d’ici 2050, l’université joue un rôle central dans cet écosystème. Notre objectif est d’attirer entreprises, chercheurs, et entrepreneurs, avec le soutien de l’Office chérifien des phosphates (OCP Group), qui a mis à notre disposition environ 1 000 hectares pour la construction de cette cité du savoir.
Aujourd’hui, le campus s’étend sur 80 hectares, accueille 6 000 étudiants et 250 enseignants permanents. La capacité d’hébergement passera à 5 000 lits l’année prochaine, contre 640 en 2017. Le site abrite des laboratoires de recherche couvrant sciences, technologies, agriculture, mines, et santé. Un hôpital est en construction, prévu pour être inauguré en septembre 2024.
Le campus comprend également des plateformes de recherche à l’échelle réelle telles que le Green Energy Park et le Green Smart Building Park, où des maisons passives construites par des étudiants sont mises en place. À proximité, une mine de phosphate est mise à disposition par le groupe OCP pour introduire les innovations des chercheurs.
L’UM6P ne se limite pas à Benguérir. Nous avons inauguré un second campus à Laâyoune en février 2020, dédié à la recherche en agriculture dans un environnement aride affecté par la salinité des sols. Un campus à Rabat a vu le jour en septembre 2021, accueillant la faculté de gouvernance et la Business School. Nous avons également cinq écoles de codage gratuites à Safi, Youssoufia, Benguérir, Khouribga et Tétouan.
En 2022, une antenne à Paris a été ouverte pour rapprocher la diaspora africaine en Europe. Nous explorons également des opportunités en Amérique du Nord, avec l’ouverture prévue d’une antenne à l’Institut national polytechnique Félix Houphouët-Boigny en Côte d’Ivoire en septembre 2024, axée sur l’agriculture digitale.
La Tribune Afrique : L’UM6P vise à devenir un hub technologique africain. Combien d’étudiants africains suivent les cursus à Benguérir ?
Hicham El Habti : Environ 3 000 étudiants suivent des formations non accréditées, principalement en codage, dans les écoles 1337 et You-Code. Parallèlement, 3 000 étudiants sont engagés dans des formations diplômantes, dont 7 % viennent d’une trentaine de pays africains subsahariens, avec une représentation de 60 % de filles. Actuellement, 80 % des élèves sont boursiers, les frais annuels s’élevant en moyenne à 10 000 euros. Les fondations de l’Université et du groupe OCP financent ces bourses.
Après Paris, nous explorons des opportunités en Amérique du Nord et ouvrons une antenne à l’INPHB en Côte d’Ivoire, axée sur l’agriculture digitale.
La Tribune Afrique : L’UM6P a établi de nombreux partenariats internationaux. Comment fonctionne la coopération internationale sur le campus de Benguérir ?
Hicham El Habti : La coopération internationale se manifeste à travers divers projets sur le campus. Par exemple, le Green & Smart Building Park présente les résultats de la compétition Solar Decathlon, subventionnée par le département américain de l’énergie.
Des laboratoires, notamment dans le domaine des réseaux intelligents (smart grid), ont bénéficié du financement de la coopération sud-coréenne (KOICA). Le Green Energy Park a reçu des subventions de l’Allemagne via la GIZ et la Fraunhofer Institute for Systems and Innovation Research.
La demande croissante d’hydrogène vert en Europe a renforcé notre collaboration avec plusieurs pays européens, et des partenariats avec l’Office national des chemins de fer, IBM, et d’autres acteurs privés sont en place. Récemment, un partenariat avec l’opérateur marocain INWI a été signé pour incuber des startups dans les télécoms.
En résumé, la coopération internationale au sein du campus de Benguérir s’inscrit dans une dynamique d’innovation et de développement durable, répondant aux besoins locaux et contribuant aux défis mondiaux.
La Tribune Afrique : Comment OCP Group soutient-il l’UM6P ?
Hicham El Habti : OCP Group est notre client le plus important, avec toute sa recherche réalisée par l’UM6P. Environ 2 300 cadres du groupe OCP suivent des formations à l’UM6P, ainsi que 17 000 ouvriers. Les investissements annuels dans la recherche peuvent atteindre jusqu’à 200 millions de dollars, et le groupe s’est engagé à consacrer 4 % à 5 % de son chiffre d’affaires à l’amélioration de la R&D chaque année. La fondation du groupe finance la scolarité d’une majorité d’élèves.
La Tribune Afrique : L’UM6P se concentre sur l’innovation locale. Quelles innovations ont trouvé des applications concrètes dans l’économie réelle ?
Hicham El Habti : Plus de 500 porteurs de projets ont bénéficié des programmes de l’UM6P au cours des trois dernières années, et 40 % d’entre eux ont créé leur entreprise. Des semences innovantes, telles que la « blow panicone », tolérant la salinité des sols et développées à Laâyoune, ont été approuvées par les autorités marocaines. Un fermier a déjà utilisé cette semence sur des terres abandonnées en raison de la salinité, illustrant une application concrète des recherches menées par l’UM6P dans l’économie réelle.
La Tribune Afrique : Comment le Maroc retient-il ses talents, notamment dans le contexte de la guerre des talents 2.0 ?
Hicham El Habti : Peu d’étudiants s’expatrient, notamment en raison des opportunités au Maroc. Nous avons constaté que rappeler ces opportunités tout au long de leur scolarité a contribué à convaincre certains étudiants de rester. De plus, les codeurs peuvent facilement mener leurs projets depuis le Maroc et facturer leurs prestations en euro ou en dollar, éliminant ainsi le besoin de s’expatrier.
Le paysage du travail a évolué, et de nombreux individus préfèrent aujourd’hui le travail indépendant, une tendance également observée aux États-Unis avec la « grande démission ». La nature changeante du travail, notamment depuis la pandémie de Covid-19, offre aux talents marocains des possibilités de travailler localement tout en poursuivant des projets internationaux.
La Tribune Afrique : Expliquez-nous le concept de « The Voice of Africa » organisé à Benguérir.
Hicham El Habti : « The Voice of Africa » est un cycle de rencontres et de conférences visant à faire entendre la voix de l’Afrique sur des enjeux tels que la sécurité alimentaire, le développement durable, l’entrepreneuriat, etc. L’événement s’est déroulé du 10 au 14 octobre sur le site de Benguérir, en marge des Assemblées annuelles de la Banque mondiale et du FMI. Nous avons abordé des thèmes essentiels avec des invités de renom tels que Janet Yellen, secrétaire au Trésor des États-Unis, Makhtar Diop, directeur général de la Société financière internationale, et Jacques Attali. Cet événement a réuni près de 7 000 participants et a été une plateforme pour discuter des défis et des opportunités de l’Afrique dans le contexte mondial.
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